Les nomades Touareg ont pour habitude de dire que l'eau est la vie : "Aman Iman".
Dans la nuit de mardi 1er au mercredi 2 septembre 2009,  elle fut mort, dévastations et cataclysme.

Alors que toute la partie sahélienne connaît une désertification amorcée il y a plus de 3500 ans, que les précipitations ne dépassent pas une moyenne annuelle de 20 mm dans la frange sub-saharienne (inf à 5 mm dans le Ténéré), des pluies torrentielles se sont abattues durant 4 jours du Niger jusqu'au Sénégal.
Dans la région d'Agadez (Niger), ce fut un véritable déluge d'eau. Au Nord, dans les montagnes du Massif de l'Aïr, les koris (oueds) ont gonflé et dévalé les pentes, d'une ampleur sans précédent de mémoire d'homme. Sur le lit du kori Telouat (ou Telwa) qui traverse Agadez, la digue située 7 km en amont a retenu les masses d'eau boueuse tant 
que possible, jusqu'à ce qu'elle se fracasse sous la pression. Un gigantesque torrent de boue a alors déferlé sur la plaine, embarquant tout sur son passage. Agadez était sur sa trajectoire ; la majeure  partie du Nord-Est de la ville a été pratiquement arrachée.


D'après des témoins, au matin du 3 septembre, une grande partie de la ville était sous un lac de boue.
Certains quartiers émergeaient, totalement isolés. Dans l'ensemble, le niveau arrivait à la taille et par endroit jusqu'au cou. Certains parlent de 7 morts, d'autres de 20, et le nombre de disparus n'est pas encore estimé (dont beaucoup d'enfants et de vieillards). Ce sont surtout environ 7000 foyers, soit des dizaines de milliers de personnes sans plus aucun abri, jetés à la rue (du moins ce qu'il en reste). Onze quartiers sur quinze ont été inondés ou détruits, dont 3500 maisons disparues ou écroulées. Les habitats construits en banco (briques d'argile séchées au soleil et enduites de pisé) se sont véritablement effondrés comme des carrés de sucre au fond d'une tasse de thé. Leurs habitants ont tout perdu.
Les boutiques de quartiers n'existent plus non plus. Les quelques marchandises en stock et revendues au détail pour grignoter un petit bénéfice sont parties avec les cloisons de nattes ou de tôles. 
L'économie d'une partie de la population reposait entièrement sur ce système de petit commerce. Femmes et enfants ont été mis à l'abri dans des écoles, dormant à même le ciment. La plus part des hommes sont restés sur l'emplacement du bâti disparu à fouiller les décombres, quand il en reste, pour retrouver quelques objets personnels. L'eau de la ville est à nouveau disponible dans quelques quartiers de la ville, mais le prix de l'eau 
potable augmente chaque jour qui passe et l'argent a lui aussi été emporté dans les flots de boue. L'eau stagnante reste dans les rues, source de paludisme, fièvre typhoïde, diarrhées, infections respiratoires et cutanées, choléra, poliomyélite et autres épidémies tout à fait sympathiques.

En brousse, la situation est peut être bien plus dramatique encore. Les puits pastoraux étayés en bois dont l'embouchure est en général au raz du sol, sont ensevelis. S'il y avait une motopompe, elle est restée au fond, parfois à plus de 10m. Les puits de village sont généralement tubés en ciment avec une margelle d'environ 1m. Mais bien souvent, ils sont construits dans le lit du kori, là où le sol est plus tendre, là où les chances de toucher l'eau sont plus importantes. Mais dans le kori, c'était aussi le passage du torrent ravageur... Les ouvrages qui ont résisté ont été en partie recouverts par la vague de boue et pollués.
En brousse, l'économie des zones habitées repose sur le maraîchage ; on dénombrent d'importantes superficies cultivées... On devrait dire "dénombrait", car elles n'existent plus. 75% des jardins ont été emportées, avec les clôtures, le matériel agricole, les récoltes de cet été, les stocks de semences, et quand il y en avait, le bétail. Du Mont Bagzane, point culminant de l'Aïr, jusqu'à Agadez, des centaines de milliers de personnes n'ont plus rien, ni aucune ressource alimentaire ou financière... Dans toute la région, ce sont plus de 16000 foyers touchés, soit environ 97000 victimes concernées.


Mais quelle est cette malédiction qui s’abat sur ces gens ?
En effet, le contexte géo-politique déjà dramatique de ce pays (l'un des plus pauvres de la planète) ajoute un coefficient amplificateur à l'impact d'un simple déluge (déjà bien agressif en temps normal)... En plus des invasions de criquets et des sécheresses qui ont fait d'énormes dégâts et victimes dans les années précédentes, le Président du Niger Mamadou Tandja (d'origine haoussa) essaie ni plus ni moins d'éradiquer l'ethnie touarègue du Niger. Deux raisons à celà :

1/ Une vieille revanche d'un haoussa sur les touareg :
Il y a environ un millier d'années, les arabes ont envahit ce que sont aujourd'hui l'Egypte, la Libye, le Maghreb, puis l'Espagne et la France... Sur leur passage vivaient des Berbères dans le Sud de la Libye (touareg voudrait dire "berbères voilés" en arabe ancien). L'invasion arabe a donc fait fuir les touareg vers le centre du Sahara, soit les massifs du Hoggard et de l'Aïr, des citadelles qui leur ont servi de refuges.
Dans l'Aïr vivaient des ethnies plus "noires" (les haoussas et Kanouris...), qui ont fuient à leur tours vers le Sud, ou bien ont été prises comme esclaves par les touareg envahisseurs. Leur situation au sein de la culture touarègue a traversé les siècles, jusqu'à ce que cette ethnie "invitée" ait une place finalement respectée dans l'échelle des castes et un rôle bien à elle dans la structure sociale targuie.
Pendant la colonisation, les français ont essayé de sédentariser ces fameux hommes bleus en mettant leurs enfants dans les écoles francophones. Mais les touareg ont préféré garder leur culture d'éleveurs intacte et mettre dans structures scolaires les fils de leurs esclaves. Au Niger, presque un demi siècle après l'indépendance, ce sont aujourd'hui les descendants de ces élèves haoussas qui dirigent l'Etat, l'armée, l'administration, l'éducation, le commerce, etc... Les touareg sont alors considérés comme des parias...

2/ La 2ème raison est plus récente :

Le Nord-Niger où vit la majeure partie du peuple touareg nigérien, possède un sous-sol riche en uranium et autres minerais. AREVA (COGEMA) en extrait depuis plus de 40 ans une grande partie des besoins nucléaires français.
Le Président Mamadou Tandja a vendu des droits de prospections (à la France, la Chine, l'Inde, l'Afrique du Sud, l'Australie, le Canada, l'Angleterre, etc...) sur un territoire targui d'environ 86000 km2, (soit environ 13% du territoire français), jusqu'à englober toute la région d'Agadez. Quand Mamadou Tandja transformera ces droits de permis de recherche en droits d'exploitation, cette zone se transformera en une gigantesque mine à ciel ouvert. Les 5 à 600 000 nomades touareg et peuls qui y vivent n'auront plus qu'à déménager ou crever sur place, contaminés par la poussière emportée par les vents sur des centaines de kilomètres. Ces centaines de milliers de personnes devront alors migrer sur des territoires voisins, provoquant une superposition de populations et de cheptels sur un écosystème déjà extrêmement fragile, où le simple fait de vivre est déjà une situation réellement précaire. Suite aux pénuries de pâturages pour les élevages, de bois pour se nourrir, de terres pour les hommes, l'ensemble de la population devra pousser plus loin sa migration, au Mali, en Algérie du Sud, au Burkina-Fasso, au Tchad de l'autre coté du Ténéré, où il se passera exactement le même processus... Quand on voit l'état de santé du Tchad, du Soudan, du Sud mauritanien, c'est toute la bande sub-saharienne qui est condamnée, soit des millions de personnes...
Le Président du Niger ne voit seulement dans son plan que le fait de chasser (voire d'exterminer) les touareg de son pays avec l'aide du commerce international et de l'infernale course à l'énergie. Mais ce qui est plus terrible encore et qu'il semble ne pas avoir conscience : la nappe phréatique fossile a déjà subi une baisse de 30% en quelques années, avec les seules mines de Arlit et les champs de maïs, largement arrosés en plein désert libyen (une lubie du colonel Kadhafi). Dans le cas où Mr Tandja arrive à ses fins, l'alimentation en eau potable dans tout le Nord Niger, le Sud-Libyen et le Sud-Algérien n'aura qu'une espérance de vie estimée entre 20 et 30 ans.

Comme beaucoup de peuples qui vivent au plus près de l'écosystème dont dépend leur survie, les nomades touareg sont bien conscients de ce qui pourrait être l'une des plus grandes catastrophes humaines de ces dernières décennies. Je me permets de penser qu'ils resteront sur place, même condamnés, plutôt que d'enclencher ce processus infernal. Ils n'ont plus rien à perdre et c'est pourquoi une rébellion a été déclenchée au Niger. Depuis 2 ans et demi, une guerre civile sème la terreur dans les montagnes de l'Aïr et toute la région d'Agadez. Sous la pression de l'armée régulière, des milliers de personnes ont quitté leur village, ne partant qu'avec ce qu'ils avaient sur eux au moment de leur fuite. Dans la précipitation, bétail, affaires vestimentaires et objets usuels sont abandonnés sur place, parfois avec quelques "anciens" et de très jeunes enfants qui ne pouvaient effectuer le déplacement. Essentiellement de culture nomade touarègue, ces gens sont d'anciens éleveurs et se sont naturellement réfugiés dans les montagnes, en survivant avec un minimum vital généralement fourni par les rebelles eux mêmes. Les plus endurants ont pu rejoindre les gros villages, vers l'Est et le Sud du massif de l'Aïr, ou encore Agadez qui comptait déjà plus de 80 000 habitants. Des bidonvilles improvisés ont alors gonflé la périphérie de ces zones habitées qui reposaient sur une économie déjà précaire, en doublant la plupart du temps leur démographie.

Voilà un brossage rapide du contexte dans lequel intervient cette catastrophe paradoxale, qu'est un raz de marée aux portes du désert, et qui implique des conséquences bien plus dramatiques qu'une simple inondation... Quand on sait que les ONG officielles ont fortement été priées de quitter la région dans les premiers mois de la rébellion, on se rend compte combien il est urgent et prioritaire que les pays occidentaux se mobilisent.


Et du coté des grands médias nationaux ?...

Le gouvernement nigérien ait fait appel à l'aide internationale... Un avion Hercule de l'armée française a décollé pour Agadez vendredi 12 septembre avec 15 tonnes d'aides et matériels de premières nécessités fournies par des petites associations réunies en Collectif...
La Une affiche nettement sa préférence pour une grippe, une vente de Rafale au Brésil, la rentrée en classe de nos chérubins ou des faits divers qui créent la psychose ou font la promo de nos services de police... Pourquoi n'y a t-il donc pas la moindre ligne sur cette histoire de catastrophe humaine qui concerne l'international ?... Serait-ce parce que notre Président Nicolas Sarkosy n'est pas à l'aise avec notre fournisseur en matière première nucléaire ? Ou sont-ce les gouvernements français et nigérien qui ne souhaitent pas faire savoir que l'armée française apporte son conseil à l'armée nigérienne aux cotés de la Chine qui leur fournit l'armement, afin d'assurer une sécurité sur nos sites d'extraction d'uranium ? Faut-il attendre qu'il y ait une sur-abondance de barcasses pleines de clandestins entre le Maroc et les Canaries, ou la Tunisie et la Sicile pour en parler ?... Ce sera malheureusement trop tard...

En 2005, je traversais le désert du Ténéré, seul et à pied, sans 4x4 d'assistance ni même un chameau. Ce n'était pas pour l'exploit, mais pour vivre un désert de l'intérieur et pour observer l'acclimatation du métabolisme dans l'une des régions des plus arides du Sahara, mais surtout pour comprendre pourquoi les nomades ne quitteraient leur désert pour rien au monde. Après cette traversée, l'accueil en milieu touareg a été tel, que des relations étroites et amicales s'approfondissent chaque année.
Vous l'aurez compris, je suis très lié au Nord Niger et certains campements touareg, et suis naturellement sensibilisé sur la situation qui règne aujourd'hui dans cette région. Avec l'état de guerre, ces gens avaient déjà besoin d'un sérieux coup de main hier, mais bien plus aujourd'hui.
Dès le lendemain de la catastrophe naturelle, l'Association EAU SOL AIR Solidaire dont je suis le Président fondateur, participe au sein d'un Collectif associatif à l'élaboration d'un programme d'aide et de soutien. L'essentiel de l'aide occidentale et nigérienne risquant de se polariser sur Agadez même, notre priorité ira aux villages et campements isolés en brousse, là où les jardins sont ravagés, les cheptels emportés, les puits détruits... là où les grosses ONG officielles ne vont pas.
Deux niveaux d'aides sont mis en place : l'urgence (l'eau potable, l'alimentation de base, des moustiquaires et des couvertures, des soins et des abris...) et la reconstruction (la remise en état des puits, la fourniture de semences, de motopompes et d'outillage pour les jardins, la reconstitution de cheptels...).
L'association Eau Sol Air Solidaire basée en Cévennes, a lancé une collecte financière. Dans le cas où vous souhaiteriez participer à ce soutien, vous pouvez établir :
un chèque à l'ordre de :
Association Eau Sol Air chez Pierre Schmitt
Bluech Haut. 48240 St PRIVAT de VALLONGUE

ou un virement :
Etabl : 20041
Guichet : 01009
N° compte : 1029629H030
Clé Rib : 70
IBAN int : FR 83 20041 01009 1029629H030 70
BIC int etabl : PSSTFRPPMON

Aujourd'hui, cet événement climatique comporte néanmoins un aspect positif qui pourrait paraître anodin, mais certaines grosses structures humanitaires vont pouvoir en profiter pour reprendre contact avec le terrain nigérien. Pour les populations qui souhaitent vivement la construction d'une paix durable, c'est un espoir énorme. 
Rappelons que pendant des siècles, avec plus d'une dizaine d'ethnies représentées, Agadez était une ville d'échanges incroyables entre Afrique Noire et Sahara, Orient et Occident

 

Eau Sol Aire Soldaire est une association Loi 1901 à but non lucratif.

Cette association a pour objet en France et dans le monde, de soutenir des personnes, des groupes de personnes ou des collectivités qui se trouvent démunies face à des difficultés liées directement ou indirectement à l'environnement ou à une situation de crise, de créer ou de participer à des actions de promotion et de développement dans les domaines qui touchent l'être humain : santé, équipement, social, éducation, culturel, productions artisanales, animales, maraîchères ...

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